Levons-nous donc vivement : / Le coq éveille les dormeurs / Et gourmande les paresseux ; / Le coq dénonce les récalcitrants. Au chant du coq, l’espoir revient, / Les malades recouvrent la santé, / le brigand rengaine son poignard, / la foi renaît chez ceux qui ont failli [1]. Il m’est désormais impossible, Bacchus très cher, de ne pas me remémorer les deux strophes de cette hymne d’Ambroise alors que va se lever le jour.
En effet, le poulailler de nos voisins mitoyens a été inondé la semaine dernière suite aux débordements des cours d’eau qui font actuellement de notre marais un territoire liquide. Afin de sauver leurs gallinacés (douze poules et trois coqs) [2] qui appartiennent à cette race Gauloise dorée [3] que nous savourons passionnément, tant sur le plan esthétique que sur le plan culinaire, ils les ont confinés si près de leur maison qu’au petit matin, ma Vera et moi, nous nous demandons si un démon nocturne ne nous a pas changés nous-mêmes respectivement en gallus et gallina. Mon épouse m’assure que, dans mon sommeil, j’ai cité d’une voix tonitruante, en conjuguant les verbes à la première personne, le portrait du coq selon Pline l’Ancien : Je marche la tête haute, la crête droite ; […] seul parmi les oiseaux, je regarde souvent le ciel, dressant aussi dans les airs ma queue recourbée comme une faucille. Aussi j’inspire de la terreur, même aux lions, les plus courageux des animaux [4].
En parfait accord avec ma Véra, nous avons choisi de vivre ce temps d’épreuve sonore matutinale sans récrimination, comme une forme de pénitence consonant avec notre entrée dans la Sainte quarantaine [5]. Une curiosité, que nous espérions louable et salutaire, nous a détournés de Pline l’Ancien pour partir chasser le coq dans les livres bibliques. Jusque là, nous n’en connaissions qu’un, celui dont le triple coco coco [6] révéla à l’apôtre Pierre sa trahison à l’égard de son Maître. Le premier discours de Yahvé dans le livre de Job débusqua brièvement notre premier coq vétérotestamentaire : Qui a mis dans l’ibis la sagesse ? donné au coq l’intelligence ? Le livre des Proverbes en fit surgir un deuxième de manière plus loquace : Trois choses ont une belle allure et quatre une belle démarche : le lion, le plus brave des animaux, qui ne recule devant rien ; le coq bien râblé ou le bouc, et le roi qui harangue le peuple. Maigre tableau de chasse qui, de surcroît, fondit comme neige au soleil lorsque navigant entre Bible hébraïque, Septante, Vetus latina et Vulgate, nous prîmes conscience que le « coq » chez Job relevait d’une traduction plus qu’incertaine, Quant à celui des Proverbes, on pouvait aussi bien le transformer en « cigale », en « cheval », en « zèbre » ou en « lévrier ».
Quelque peu dépités, nous décidâmes alors de pratiquer un jeûne (temporaire, tu t’en doutes) d’exégèse et de nous restaurer spirituellement avec les 25 strophes de l’Hymne au Chant du Coq de Prudence [7] qui voit en lui la figure du Christ ressuscité des morts, et comme tel, l’annonciateur de la dernière aurore, celle du Jugement dernier. Nous vous offrons la première et la cinquième strophes : Le messager ailé du jour / chante l’approche de la lumière ; / voici que l’éveilleur des âmes, / le Christ, nous appelle à la vie. […] Nous qui sommes enveloppés d’affreuses ténèbres / et enfoncés dans de molles couvertures, / elle [cette voix] nous incite à quitter le repos / au moment où le jour va venir.
A la relecture, nous nous demandons si les mauvaises langues qui estiment Prudence meilleur chrétien que poète n’ont pas un peu raison.
Nous vous laissons juges…
Bessus
[1] Il s’agit en effet de la cinquième et de la sixième strophes d’une hymne d’Ambroise de Milan : Hymne du matin pour le Dimanche à Laudes.
[2] Il est intéressant de noter que le voisin de Bessus se situe dans la norme d’aujourd’hui : 4 à 5 poules pour un coq. A moins d’y voir une permanence de normes ancestrales
[3] Ce sont les Romains qui les premiers ont associé le coq et la Gaule. À l’origine de cette association, un simple jeu de mots : en latin c’est le même terme, gallus, qui désigne à la fois et l’oiseau et l’habitant de la Gaule. Plusieurs auteurs, dont César dans sa Guerre des Gaules, rapprochent ainsi la fougue des guerriers gaulois de la vaillance du coq défendant ses poules (Goudineau 2002 : 65-66). Michel Pastoureau, Le coq médiéval, in https://doi.org/10.4000/ethnoecologie.3288
[4] Voici la citation exacte : Il marche la tête haute, la crête droite ; […] seuls parmi les oiseaux, ils [les coqs] regardent souvent le ciel, dressant aussi dans les airs leur queue recourbée comme une faucille. Aussi inspirent-ils de la terreur, même aux lions, les plus courageux des animaux. (Naturalis Historia [NH], X, 48).
[5] Cette « Sainte quarantaine » ne renvoie pas, bien sûr, à une isolation des personnes pour suspicion de maladies contagieuses, mais au temps du Carême.
[6] Chant du coq en latin : ou bien Bessus privilégie la forme latine ou bien le « cocorico » n’était pas encore ambiant dans sa région et/ou au VIIe siècle.
[7] Prudence, né en Espagne, 348-415/425, homme d’une grande culture littéraire. Il fut chargé de hautes fonctions administratives et militaires. Au soir de sa vie, il se consacra à la composition de poésies religieuses, apologétiques, didactiques ou lyriques.