Troisième point, Irénée considère que le propre de l’Esprit est de maintenir l’unité alors qu’elle est menacée d’éclatement. Une illustration particulièrement éclairante est fournie dans le passage où Irénée défend le fait qu’il y ait quatre évangiles et non pas un seul :
Puisque l’Église est répandue sur toute la terre et qu’elle a pour colonne et pour soutien l’Évangile et l’Esprit de vie, il est naturel qu’elle ait quatre colonnes qui soufflent de toutes parts l’incorruptibilité et rendent la vie aux hommes. D’où il appert que le Verbe, […] nous a donné un Évangile à quadruple forme, encore que maintenu par un unique Esprit (III, 11, 8).
On peut souligner l’oxymore : les colonnes (stylous), symbole de stabilité sont rapprochées du souffle (pneontas), symbole de mobilité et de vie insaisissable. Et de même le « quatre » est articulé à l’« unique » grâce au préfixe grec sun-, qu’il utilise également pour évoquer « la symphonie du salut ».
Au terme de ce survol de la notion de Providence chez Irénée, que pouvons-nous retenir ?
Irénée est un véritable initiateur en matière de méthode théologique : il structure sa pensée en dialogue avec les aspirations philosophiques de son temps au sujet de la Providence : le monde n’est pas dû au hasard, ni à un destin aveugle mais il est le fruit d’un projet bienveillant. Cette notion ouvre alors tout un champ théologique concernant l’unité. Si cette Providence s’exerce pour tout homme, elle incite les hommes au dialogue entre eux ; entre ce « ils » et ce « nous » toujours fluctuants et quelquefois conflictuels notamment par rapport à la question de la vérité. Mais Irénée donne quelques pistes pour progresser : vers quelle unité devons-nous tendre ? Assurément pas vers une uniformité qui n’est pas le mode d’expression habituel de l’Esprit, mais vers un commun progrès dans « l’accord de la foi » ; l’unité de la foi, fondée pourtant sur quatre Evangiles, illustre déjà ce mode d’action propre à l’Esprit et la façon dont Dieu exerce sa bienveillante Providence. .
Marie-Laure Chaieb
Université Catholique de l’Ouest